Billet n°18

Perfection blues

Le perfectionnisme est tout autant un moteur qu’un frein, mais, le rapport à la perfection des personnes à haut potentiel, jeunes ou moins jeunes, peut s’avérer complexe.

Quand ce mot « perfection » est évoqué, il laisse parfois émerger des images agréables. Plongeons dans l’enfance avec les petites couturières de Cendrillon : je revois les oiseaux et souris qui confectionnent sa robe. Elles travaillent à la perfection ! Les rubans tombent parfaitement, les dentelles sont aériennes et la robe terminée est féérique.

Kei Kobayashi, le K unique de la gastronomie française est aussi un perfectionniste, il propose dans son établissement une expérience culinaire basée sur une qualité irréprochable des produits et reconnait que travailler avec lui n’est pas aisé tant il est exigeant et surveille tout …pour que ce soit parfait. Bon nombre de cuisiniers sont dans cette recherche permanente de la qualité absolue. Et que c’est beau, et que c’est bon, les papilles s’envolent sous d’autres cieux qu’à la cantine.

Les exemples dans les domaines culturelles, techniques, scientifiques sont infinis, et, on le voit, sont moteur pour se surpasser et donner le meilleur.

Cet absolu est souvent visé par les hauts potentiels. Ils ont conscience de ce qu’ils voudraient atteindre, de ce qu’ils pourraient atteindre. Cela se traduit par un investissement travail qu’ils veulent irréprochable, acharnés qu’ils sont à vouloir produire quelque chose de beau.

Encore faut-il cependant que ce beau soit atteignable à leurs yeux. Car s’il ne l’est pas, ou s’ils croient qu’il ne l’est plus, eh bien ils préfèrent abandonner et ne plus se battre. Surgissent alors les « à-quoi-bon » !

A-quoi-bon m’appliquer encore puisque c’est raté !? A-quoi-bon persévérer puisque je vois que je n’y arrive pas, enfin pas à la hauteur de l’objectif que je m’étais fixé !? Ces gâteaux sont moins jolis que ce que je ne me suis appliqué à les faire, eh bien, je vais les malmener un peu, il n’y a plus aucun effort possible, l’action engagée vise alors à abîmer, à casser, afin d’aboutir à un résultat tout moche… le plus moche possible, à la hauteur du moche de ce que cela aurait pu être parfait.

Tant qu’à rater, autant rater avec panache.

Quand ce ne sont que des gâteaux, ce n’est pas trop lourd de conséquences. Mais si nous rapprochons cela du travail scolaire, cela peut devenir catastrophique.

« Je n’y comprends rien en … (choisissez …maths, SVT, physique …) eh bien, cela ne sert à rien que je travaille puisque c’est fichu de toute façon ». Alors, l’élève laisse tomber. Plus d’investissement, ou alors le minimum. Les résultats restent bas et cela conforte l’élève HP dans son choix de ne rien faire ou de faire le minimum.

Il y aussi le perfectionniste, souvent « la perfectionniste » d’ailleurs, qui se donne à fond dans son travail scolaire et qui, à l’inverse, obtient des notes très élevées. Alors, comme on aimerait voir des sourires, de la satisfaction, de la fierté face au travail réussi. Cela arrive heureusement. Mais il y en a beaucoup qui ne voit que ce qui n’a pas été atteint, les petits points qui manquent et qui donnent un 16 bien décevant. Le 19 même peut être très frustrant.

Je crois cependant que le blues du perfectionniste pourrait évoluer vers un morceau moins déchirant.

Viser la perfection, viser l’excellence, certes, si cela met en mouvement, si cela donne l’envie, celle de faire de son mieux mais à condition de se détacher résolument du jugement sévère que les yeux critiques du haut potentiel posent sur le résultat obtenu. Le but est d’observer avec lucidité ce qui est réussi, ce qui est beau, ainsi que ce qui est encore perfectible. La lucidité fait ici parfois défaut pour n’éclairer que le négatif.

Adopter de nouvelles méthodes de travail, faire oui mais « faire autrement », accepter que la perfection ne soit pas là tout de suite mais qu’elle est le but visé …tout cela aide à gagner en confiance et sérénité.

Réaliser aussi que l’imperfection a du bon. La singularité d’une voix comme celle de Taj Mahal, avec ce léger voile qui s’accentue au fil des années, rend son blues encore plus touchant, encore plus vibrant…la petite note bleue varie en fonction de son inspiration et de sa volonté de créer une dissonance. Parfait, il l’est, dans son imperfection.

Nathalie C.